La loi n° 2014-856 relative à l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, dite « loi Hamon », avait instauré une obligation, pour une entreprise de moins de 250 salariés*, d’informer chacun d’entre eux au moins deux mois avant toute cession, afin de leur permettre de proposer une offre de reprise (articles 19 et 20 de la loi 2014-856 du 31 juillet 2014). Certaines questions pratiques étant alors clairement restées en suspens, un décret était utilement venu apporter par la suite des précisions quant aux modalités concrètes d’application de la loi (décret 2014-1254 du 28 Octobre 2014).
Bien que clarifié, le dispositif n’en était pas moins demeuré critiqué. Effectivement, son objectif était à l’origine d’éviter que –en l’absence de repreneur- des entreprises saines viennent à disparaitre. Mais la loi entraînait surtout et avant tout –en présence d’un repreneur– un risque d’annulation pure et simple de la cession de l’entreprise. Elle permettait ainsi à tout salarié, en cas de non-respect de la procédure d’information, de demander l’annulation de la vente (Code de Commerce, anciens articles L. 141-23 et L. 141-28 pour un fonds de commerce et articles L. 23-10-1 et L. 23-10-7 pour une société). Pourtant, en présence d’un repreneur, nombreuses pouvaient être les justifications à une telle absence d’information, à commencer par la volonté bien légitime de préserver la confidentialité des négociations…
Mais au-delà des très nombreuses critiques que cette loi rédigée et votée dans la hâte avait engendrées, c’est sa constitutionnalité même qui posait question, au regard de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété notamment. Le Conseil Constitutionnel avait ainsi été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’Etat (CE 22 mai 2015, n°386792).
Dans sa décision rendue le 17 juillet 2015 (décision 2015-476 QPC du 17 juillet 2015), le Conseil Constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution de l’obligation d’information, dans la mesure où elle poursuit un objectif d’intérêt général, en permettant par tous les moyens la reprise d’une entreprise et la poursuite de son activité. En revanche, l’annulation de la cession de l’entreprise, comme sanction de la méconnaissance de l’obligation d’information, a bien été déclarée inconstitutionnelle.
En parallèle, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », prend en compte certaines critiques évoquées à l’égard du dispositif et le modifie en partie. Elle limite ainsi son champ d’application, en allège les modalités et en atténue la sanction dans le cas de son non-respect.
1. Limitation du champ d’application à la seule vente de l’entreprise (vente du fonds de commerce ou de la majorité des titres)
En remplaçant l’expression initiale « cession » par « vente », la loi Macron vient clarifier le champ d’application de l’obligation d’information (C. com. art. L. 141-23 s. et L. 23-10-1 s. modifiés). En conformité avec son objectif initial, le dispositif n’est donc plus concerné que par la seule hypothèse de la vente de l’entreprise, à l’exception de toute autre forme de cession (apport, donation, échange etc.).
Autrement dit, l’obligation d’information s’applique désormais uniquement aux cas de vente du fonds de commerce ou de toute participation représentant plus de 50% des parts sociales, des actions ou valeurs mobilières donnant accès au capital d’une société.
On regrettera que, malgré les demandes des milieux économiques, le cas des ventes intragroupes n’ait pas été réglé. A priori, l’objectif initial d’empêcher la disparition de l’entreprise faute de repreneur ne justifie pas d’inclure aussi les restructurations internes dans le champ d’application du dispositif. Celles-ci semblent néanmoins encore concernées par l’obligation d’information.
De même, le cas des cessions partielles qui entraînent une prise de contrôle ainsi que celui des cessions progressives, par tranches successives du capital social, auraient eux aussi méritées d’être précisés.
2. Allègement des modalités pratiques d’information et exonération en cas d’information des salariés dans les 12 mois précédant la vente
Sur le plan formel, la loi Macron allège significativement les modalités d’information.
Ainsi l’information des salariés peut être effectuée par tout moyen de nature à rendre certaine la date de réception de l’information. Et en cas de lettre recommandée avec accusé de réception, la loi Macron précise que la date de réception de l’information est désormais la date de la première présentation de la lettre, et non plus celle de la remise de la lettre à son destinataire (C. com. art. L. 141-25, L. 141-30, L. 23-10-3 et L. 23-10-9 modifiés).
Dans l’hypothèse où des salariés souhaitaient effectivement proposer une offre de reprise de l’entreprise, ils devaient dans la loi Hamon s’adresser directement au propriétaire du fonds de commerce (exploitant ou non) ou au propriétaire des droits sociaux. La loi Macron facilite là encore la procédure en permettant aux salariés, quand les propriétaires ne sont pas les exploitants du fonds ou les chefs d’entreprises, de s’adresser directement à ces derniers, qui se chargeront par la suite de transmettre la proposition aux propriétaires (C. com. Art. L. 141-23, L. 141-28, L. 23-10-1 et L. 23-10-7 modifiés).
Enfin, il est désormais prévu que, si au cours des derniers 12 mois précédant la vente, un dispositif d’information des salariés a déjà été mis en place concernant les possibilités de reprise de la société, l’obligation d’information des salariés est écartée.
3. Modification de la sanction pour non-respect de l’obligation d’information : amende civile au lieu de l’annulation de la vente
C’est dans la modification de la sanction en cas de manquement à l’obligation d’information que réside l’apport majeur de la loi Macron.
En effet, la principale critique faite à l’égard de la loi Hamon était liée à l’insécurité juridique découlant du risque d’annulation de la vente de l’entreprise en cas de non-respect de l’information. Cette sanction d’annulation est désormais remplacée par un mécanisme d’amende civile, proportionnelle au montant de la vente, allant jusqu’à un montant maximum de 2% du prix de la vente. Le montant de cette amende peut donc être potentiellement très significatif.
Cette disposition de la loi Macron a donc devancé l’avis des Sages du Conseil constitutionnel et leur censure de la nullité de la cession. Comme mentionné dans leur décision datée du 17 juillet 2015, la nullité portait une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre au regard de l’obligation d’information dont elle entendait sanctionner la méconnaissance.
La nouvelle sanction civile issue de la loi Macron entre en vigueur à une date qui sera fixée par décret, et au plus tard le 6 février 2016. En revanche, la décision du Conseil constitutionnel est applicable depuis sa publication au Journal officiel. Le risque de nullité de la cession d’une entreprise du fait de la non-information des salariés est donc définitivement écarté.
La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques apporte donc quelques correctifs bienvenus à l’une des mesures les plus décriées de la loi économie sociale et solidaire, qui selon ses motifs visait alors le « dépassement du modèle économique classique fondée sur la maximisation des profits ». Il n’en demeure pas moins que le dispositif actuel persiste à complexifier le processus de vente d’une entreprise en présence d’un repreneur. Espérons donc que d’autres correctifs suivront…
Anja Droege Gagnier et Robert Dorglandes
*toute entreprise de moins de 50 salariés, ou alors toute entreprise de moins de 250 salariés et réalisant soit un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros, soit un total de bilan inférieur à 43 millions d’euros