1. Le « mini-abus de droit » – les montages poursuivant un but principalement fiscal
L’article 109 de la loi de finances pour 2019 (loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018) codifie un nouvel article L 64 A du LPF qui institue une nouvelle procédure permettant à l’administration d’écarter comme abusifs les montages ayant un but principalement fiscal. Ce n’est pas la première fois que le législateur tente d’élargir la notion d’abus de droit par fraude à la loi, réservée, au sens de l’article L 64 du LPF, aux montages ayant un but exclusivement fiscal. La première tentative de la loi de finances pour 2014 avait été censurée par le Conseil constitutionnel, aux motifs qu’elle portait atteinte aux principes de légalité des délits et des peines et à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (Cons. const. 29-12-2013 n° 2013-685). Le Conseil constitutionnel avait alors souligné l’importance de la majoration applicable, et estimé que le législateur devait en conséquence adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques.
La procédure de « mini-abus de droit » se présente avec une méthode sensiblement différente de l’article L 64 du LPF, qui lui demeure applicable sans modification. Avec ce nouveau dispositif, on aboutit donc à un « abus de droit à deux étages », l’administration pouvant fonder ses redressements alternativement sur l’existence d’un montage ayant un but exclusivement fiscal au sens de l’article L 64 du LPF (avec application de la majoration correspondante de 40 % ou 80 %) ou un but principalement fiscal au sens du nouvel article L 64 A du LPF, aucune pénalité spécifique (outre les pénalités de droit commun) n’étant en revanche prévue dans cette seconde hypothèse.–
> Notion extensive de l’abus de droit par fraude à la loi
Le nouvel article L 64 A du LPF permet à l’administration « d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
Ce dispositif s’inspire directement de la définition de l’abus de droit déjà prévue à l’article L 64 du LPF, mais comporte toutefois deux différences notables.
En premier lieu, la procédure de droit commun de l’abus de droit se décompose en deux branches alternatives portant respectivement sur les situations de fictivité juridique (ou abus de droit par simulation), et les montages ayant un but exclusivement fiscal (ou abus de droit par fraude à la loi). Or le « mini-abus de droit » ne reprend à son compte que la deuxième branche du dispositif relative à l’abus de droit par fraude à la loi.
En second lieu, la notion de fraude à la loi n’est reprise que partiellement. Deux conditions cumulatives sont exigées pour qu’un montage constitue un abus de droit par fraude à la loi, à savoir : (i) une application littérale de la loi fiscale contraire à l’intention du législateur (critère « objectif ») et (ii) la poursuite d’un but fiscal (critère « subjectif »). Mais le but exclusivement fiscal exigé dans la procédure de droit commun est remplacé par un but principalement fiscal.
L’application pratique du critère de but principalement fiscal apparaît particulièrement délicate. Le Conseil d’État a d’ailleurs déjà reconnu l’existence d’un abus de droit en présence d’un avantage non fiscal négligeable et sans commune mesure avec l’avantage fiscal retiré de l’opération (CE 17-7-2013 n° 352989). Une possibilité serait d’interpréter le but « principal » par exemple par un avantage supérieur à 50 % du gain total de l’opération. Cela étant, la plupart des motifs non fiscaux (par exemple : professionnels ou familiaux) ne peuvent généralement pas être quantifiés. Le contribuable encourt en outre le risque d’être confronté à des interprétations divergentes par les tribunaux en l’absence de définition harmonisée du but principalement fiscal.–
> Procédure « à deux étages »
Tout comme la procédure de droit commun de l’article L 64 LPF, les litiges résultant de la nouvelle procédure de « mini-abus de droit » peuvent être soumis, à la demande du contribuable ou de l’administration, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal. Une autre mesure de la loi de finances prévoit qu’en cas de saisine du comité de l’abus de droit fiscal l’administration supporte la charge de la preuve du bien-fondé du redressement, quel que soit l’avis rendu par le comité (cf. ci-dessous).
Le nouveau dispositif de « mini-abus de droit » ne prévoit aucune pénalité. L’article 1729, b du CGI, qui prévoit une majoration de 40 % ou 80 % en cas d’abus de droit au sens de l’article L 64 du LPF, n’est pas modifié pour rendre ces sanctions applicables aux montages à but principalement fiscal.
Néanmoins, l’administration dispose toujours de la possibilité d’appliquer, le cas échéant, d’autres sanctions, telles que la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses ou la majoration de 40 % en cas de manquement délibéré (CGI art. 1729 a et c). Elle doit être en mesure de justifier de l’application de ces sanctions indépendamment de la caractérisation de l’abus de droit, ce qui est d’ailleurs rappelé par les travaux parlementaires qui indiquent : « le dispositif proposé […] n’entraîne pas en tant que tel l’application automatique de sanctions fiscales » (Rapport Sén. N° 147).–
> Entrée en vigueur
La procédure du « mini-abus de droit » s’applique aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.
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2. L’avis du comité de l’abus de droit fiscal n’a en principe plus d’effet sur la charge de la preuve
L’article 202 de la loi de finances pour 2019 modifie la charge de la preuve en cas de saisine du comité de l’abus de droit fiscal.
En cas de désaccord entre le contribuable et l’administration sur les rectifications notifiées dans le cadre de la procédure de l’abus de droit prévue à l’article L 64 du LPF, le litige peut être soumis, à la demande de l’intéressé ou à l’initiative de l’administration, au comité de l’abus de droit fiscal.
Il en va de même en cas de désaccord sur les rectifications notifiées en cas d’actes ayant un motif principalement fiscal passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020 (art. L 64 A LPF, cf. ci-dessus).
Jusqu’avant l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2019, en vertu de l’(ancien) alinéa 3 de l’article L 64 du LPF, lorsque le comité était saisi d’un désaccord, l’administration supportait, en cas de contentieux ultérieur, la charge de la preuve si elle ne se conformait pas à l’avis du comité. Dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque l’imposition avait été établie conformément à l’avis subséquent du comité, la charge de la preuve incombait alors au contribuable. Enfin, la charge de la preuve incombait à l’administration lorsque le comité n’était pas saisi.
La loi de finances pour 2019 aligne le régime de la charge de la preuve applicable en cas de saisine du comité de l’abus de droit fiscal sur celui prévu en cas de saisine des commissions des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires (art L 192 LPF) et abroge en conséquence le 3e alinéa de l’article L 64 du LPF et adapte d’autres dispositions liées.
Dans le cas où le contribuable présente dorénavant une réclamation contentieuse, l’administration supporte désormais, en principe, la charge de la preuve, quel que soit donc l’avis rendu par le comité de l’abus de droit fiscal.
Toutefois, par exception, la charge de la preuve incombe au contribuable :
- lorsque sa comptabilité comporte de graves irrégularités, à condition que l’imposition ait été établie conformément à l’avis du comité (dans le cas contraire, la charge de la preuve incombe à l’administration) ;
- lorsqu’il n’a pas présenté de comptabilité (ou de pièces en tenant lieu).
Aux termes du V de l’article 202 de la loi de finances pour 2019, les nouvelles dispositions s’appliquent aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2019.
Christophe Jolk