On pourrait croire que le certificat de détachement A1 protège une entreprise étrangère et son donneur d’ordre français des sanctions pénales et financières pour travail dissimulé. Or, il n’en est rien. Voici quelques explications pour s’assurer d’être en légalité :
Rappelons tout d’abord que, pour être légal, l’exercice d’une activité et l’emploi de salariés en France nécessitent l’accomplissement de formalités (immatriculation de l’entreprise à un registre, déclarations des revenus à la Sécurité Sociale ou au fisc, déclaration des embauches à l’URSSAF, remise de bulletins de paie aux salariés …).
Le manquement à certaines de ces formalités est constitutif de l’infraction pénale de travail dissimulé définie par les articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail.
Les peines encourues sont nombreuses. Citons notamment 3 ans de prison pour les dirigeants, amende pouvant aller jusqu’à 225.000€ pour l’entreprise, indemnisation forfaitaire du salarié égale à 6 mois de salaire.
- En principe, une entreprise étrangère qui détache ses salariés en France et qui produit un certificat A1 ne peut être poursuivie pour travail dissimulé.
Une entreprise établie dans un Etat de l’Union Européenne et le salarié qu’elle détache en France restent soumis à la législation de la sécurité sociale de leur Etat d’origine.
Ainsi, l’entreprise étrangère n’est pas soumise aux obligations françaises dont le manquement constitue l’infraction de travail dissimulé.
La régularité de la situation de l’entreprise étrangère et du salarié est attestée par un certificat A1 émis par les organismes sociaux de leur pays d’origine.
Dans le cadre de chaque détachement, l’entreprise étrangère doit être en mesure de produire ce certificat aux autorités françaises.
Avant chaque détachement, puis tous les 6 mois, au titre de son obligation de vigilance, le donneur d’ordre français doit se faire remettre, entre autres documents, le certificat A1.
Ce certificat a une valeur très forte : tant qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide par les autorités qui l’ont édité, il est opposable aux autorités administratives et aux juges français.
Le certificat A1 constitue, en quelque sorte, un rempart, tant pour le donneur d’ordre français que pour le prestataire de service étranger, aux poursuites pénales en France pour travail dissimulé.
Dans une série de décisions récentes, la Cour de Cassation a rappelé que ce rempart n’est pas indestructible.
- En cas de retrait du certificat A1, l’entreprise étrangère encourt une condamnation pour travail dissimulé et le donneur d’ordre français peut être déclaré financièrement responsable.
L’organisme de Sécurité Sociale dont dépend la société étrangère, peut, à la demande des autorités françaises, déclarer le certificat A1 invalide.
Quelles sont alors, selon la Cour de Cassation (Cass. Soc., 4 nov. 2020, n°18-24.451), les (lourdes) conséquences de ce retrait ?
Le retrait du certificat A1 entraîne l’application de la législation française aux salariés détachés.
L’entreprise étrangère est, en conséquence, condamnée à affilier les salariés à la Sécurité Sociale française et à payer les cotisations sociales françaises.
De plus, elle encourt les peines qui sanctionnent le travail dissimulé.
Quant au donneur d’ordre français, il peut être condamné à garantir le paiement de l’indemnité pour travail dissimulé, au titre de sa responsabilité solidaire.
La décision de la Cour de Cassation pose la question du niveau de contrôle qui doit être exercé par le donneur d’ordre au titre de son obligation de vigilance.
Pour éviter que sa responsabilité soit engagée, il semblerait que le donneur d’ordre ne puisse se contenter d’un contrôle formel des documents remis.
Il doit également veiller à l’absence d’une obtention frauduleuse des certificats A1.
- Même en présence de certificats A1 valides, l’entreprise étrangère et son donneur d’ordre français peuvent être condamnés pour travail dissimulé.
Ainsi en a décidé la chambre criminelle de la Cour de Cassation par quatre arrêts du 12 janvier 2021.
Comment cela a-t-il été possible ?
Il « a suffi » que les juges constatent l’existence d’un faux détachement :
Tel est le cas si l’entreprise étrangère qui n’a pas d’activité substantielle dans le pays dans lequel elle est installée (dont la législation sociale est attractive) et qui y recrute des salariés dans le seul but de les « détacher » en France.
Tel est également le cas de l’entreprise étrangère qui a une activité substantielle dans son pays d’origine mais a aussi une activité stable, continue et permanente en France pour laquelle elle détache des salariés au lieu de créer un établissement en France auquel seraient rattachés les salariés.
Dans ces cas de figure, nous dit la Cour de Cassation, l’activité de l’entreprise étrangère en France ne relève plus des règles du détachement.
L’entreprise étrangère doit créer un établissement en France et solliciter son immatriculation au RCS ou au répertoire des métiers.
Elle doit également procéder en France à la déclaration d’embauche des salariés.
Faute de le faire, elle tombe sous le coup de l’infraction de travail dissimulé pour dissimulation d’activité et d’emploi.
L’entreprise n’a pas à payer des cotisations sociales en France mais peut être condamnée aux peines précitées pour travail dissimulé.
Quant au donneur d’ordre français, il peut également être poursuivi pour avoir eu recours au service de salariés victimes de travail dissimulé.
Les décisions de la Cour de Cassation laissent ouverte la question de la responsabilité du donneur d’ordre au titre de son obligation de vigilance.
Le donneur d’ordre peut-il se voir reprocher de ne pas avoir exécuté son obligation de vigilance en ne s’en tenant qu’à une vérification formelle des documents remis par l’entreprise étrangère sans chercher à déceler une situation de faux détachement ?
La réponse sera sans doute donnée dans les décisions de justice à venir.
D’ici là, la prudence est de mise pour les entreprises étrangères qui s’engagent dans une activité stable, continue et permanente en France : elles ne peuvent se contenter de le faire à l’appui de salariés détachés.
Quant aux donneurs d’ordre français, ils doivent sans doute s’assurer que leur contractant étranger est en droit de se prévaloir des dispositions applicables au détachement.