Un an après la signature du Protocole relatif à la procédure devant la Chambre Internationale du Tribunal de Commerce de Paris, une instance d’appel a été créée devant la Cour d’appel de Paris[1]. Début 2018, la Chambre internationale de la Cour d’appel de Paris a été pourvue de juges multilingues, sur le modèle de la Chambre internationale du Tribunal de commerce de Paris, et est devenue opérationnelle[2]. Devant ces deux Chambres, les parties peuvent convenir de l’utilisation d’un certain nombre de techniques procédurales qui ont fait leurs preuves dans les procédures d’arbitrage international, telles que la conduite d’une partie de la procédure en anglais, le contre-interrogatoire de témoins et d’experts, ou la fixation d’un calendrier impératif de procédure.
Dès 2017, la Chambre Internationale du Tribunal de commerce avait déjà été dotée de dix juges multilingues, c’est désormais également chose faite pour la Cour d’appel dont la Chambre Internationale est pourvue de trois juges professionnels multilingues depuis 2018[3]. Les deux Chambres sont pleinement opérationnelles et ont déjà un certain nombre d’affaires pendantes.
Selon leurs propres déclarations, l’objectif des nouvelles Chambres internationales n’est pas de concurrencer l’arbitrage, mais de mieux aligner et adapter les procédures existantes devant les tribunaux de commerce aux procédures internationales.
Les possibilités procédurales offertes aux parties ont été consignées par écrit dans deux Protocoles essentiellement identiques, contenant notamment les dispositions suivantes :
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Compétence :
En principe, les deux Chambres sont compétentes pour tous les litiges commerciaux ayant une dimension internationale[4]. La compétence peut être établie par accord contractuel entre les parties, par exemple par la clause type suivante proposée par les Chambres Internationales :
« Tout différend pouvant naître entre les parties à propos de la validité, de l’interprétation, de l’exécution ou, plus généralement, du présent contrat sera soumis, en première instance, à la compétence de la chambre commerciale internationale du Tribunal de commerce de Paris, et, en appel, à la compétence de la chambre commerciale internationale de la Cour d’appel de Paris ».
Contrairement au Protocole relatif à la procédure en première instance, le Protocole relatif à la procédure en deuxième instance devant la Cour d’appel prévoit que les parties doivent en principe spécifiquement convenir que les techniques procédurales prévues par le Protocole seront effectivement appliquées[5]. Il reste à voir comment cette exigence sera traitée dans la pratique. En tout état de cause, dans les cas où les parties ont expressément convenu à l’avance de la compétence de la Chambre, l’accord des parties en ce sens devrait être présumé.
Il convient également de se féliciter de la compétence des Chambres qui s’étend également aux procédures en référé.
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Techniques procédurales proposées :
– Calendrier de procédure : Normalement, le tribunal ne planifie que d’une date à la suivante, surtout en première instance, et il y a un risque de renvois multiples, du moins du point de vue du demandeur. Il est remédié à cette situation par la création d’un calendrier impératif de procédure complet qui prévoit notamment des dates contraignantes pour l’échange des conclusions et pièces, l’audience de plaidoirie et la mise à disposition de la décision et sur la base duquel, même à un stade relativement précoce, la durée totale de la procédure peut être anticipée. Il convient également de souligner que le calendrier de procédure n’est pas fixé unilatéralement par le tribunal, mais qu’il est discuté et établi conjointement avec les parties lors d’une audience préliminaire.
– Utilisation de l’anglais comme seconde langue de la procédure : Les documents rédigés en anglais peuvent être versés à la procédure sans traduction ; les témoins, experts et avocats peuvent s’exprimer en anglais, le cas échéant avec traduction simultanée en français ; les décisions du juge sont rédigées uniquement en français, mais automatiquement traduites en anglais.
– Audition des témoins et techniciens : Une nouveauté a été introduite avec la possibilité de faire auditionner les témoins et experts par le juge puis de les faire contre-interroger[6], en France cela est peu commun contrairement à la pratique de nombreux autres pays[7]. En outre, les témoins et les experts sont tenus, comme dans les procédures d’arbitrage, de déposer leur témoignage par écrit au préalable[8]. Les parties participent à la détermination des personnes à interroger. Il est possible pour une partie d’interroger les témoins et experts de l’autre partie dans le cadre d’un contre-interrogatoire sous le contrôle du juge.
– Mise en place d’un mécanisme de production forcée de documents[9] : Comme il est d’usage dans les procédures d’arbitrage, les parties peuvent demander au juge la production de pièces par la partie adverse, qui ne les aurait pas soumises de son propre gré. Toutefois, afin d’éviter des demandes excessives, les documents demandés doivent être précisément identifiés et spécifiés par le demandeur à la production forcée.
– Décision sur les coûts : Les conseils des parties disposeront d’un temps supplémentaire dans leur plaidoirie finale pour présenter un rapport détaillé sur les frais et dépens encourus. Il faut s’en féliciter dans les procédures avec participation internationale où les coûts sont par nature plus élevés[10].
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En résumé:
Avec la création d’un système de juridictions à deux niveaux dans lequel il est possible de recourir à des méthodes de preuve modernes et internationalement reconnues, la France répond opportunément à l’importance croissante des litiges internationaux devant les juridictions commerciales. Par ricochet, cette nouvelle organisation permet aux juges de la Cour d’appel, également compétents en matière de contestation et d’exequatur des sentences arbitrales[11], d’éprouver en pratique les méthodes de preuve en matière arbitrale grâce à leur fonction au sein de la Chambre Internationale, ce qui leur apporte une expérience pratique qui ne pourra que bénéficier à l’exercice de leur fonction de contrôle.
Étant donné que, pour l’heure, très peu de clauses attributives de juridiction élisent la compétence des Chambres Internationales, dans les faits l’application des Protocoles peut être refusée dans de nombreux cas par l’une des parties. Il serait donc souhaitable que la pratique judiciaire se développe de telle sorte que la compétence des Chambres internationales s’impose automatiquement aux parties en présence d’éléments d’extranéité[12].
Par Detlev Kühner et Jessica Noy-Gsell
[1] La CICAP (Chambre Internationale de la Cour d’Appel de Paris). Il s’agit de la 16ème Chambre du Pôle 5 de la Cour d’Appel de Paris, compétente pour les litiges commerciaux.
[2] La Chambre est opérationnelle depuis le 1er mars 2018 et a rendu son premier arrêt sur le fond le 15 janvier 2019.
[3] Il est à noter que les deux assesseurs ont plusieurs années d’expérience en tant qu’avocats dans des cabinets d’avocats internationaux.
[4] Depuis le 1er janvier 2019, la Chambre Internationale de la Cour d’Appel est également compétente pour connaître des contestations et de l’exequatur des sentences arbitrales, qui relevait précédemment d’une autre Chambre.
[5] Cela se justifie par le fait que le Protocole contient des dérogations non négligeables au droit de la procédure civile.
[6] Cela s’applique aux experts nommés par le tribunal et aux experts privés nommés par les parties.
[7] L’article 202 du Code de procédure civile autorise en principe le dépôt d’attestation écrites, en revanche dans la pratique, les témoins sont rarement convoqués et entendus.
[8] Toutefois, par dérogation à l’article 202 du Code de procédure civile, il n’est pas nécessaire de rédiger l’attestation à la main.
[9] Le Code de procédure civile prévoit également la possibilité pour l’autre partie de s’adresser au tribunal pour obtenir la production de preuves. Toutefois, cela n’est que peu utilisé dans la pratique judiciaire habituelle.
[10] Cela n’est expressément prévu que dans le Protocole relatif à la procédure devant la Cour d’appel.
[11] Le 7 janvier 2019, la compétence pour connaître des contestations et de l’exequatur des sentences arbitrales a été transférée de la 1ère Chambre du Pôle 1 à la 16ème Chambre du Pôle 5.
[12] Toutefois, cela peut nécessiter une adaptation du cadre juridique existant.