Sur la base de directives européennes[1], la réglementation française a établi un principe de protection stricte des espèces protégées.
Pendant longtemps, et souvent par manque d’information, les développeurs de projets PV en France ont omis de traiter cette problématique. Certaines autorités environnementales locales les ont cependant récemment, et parfois brutalement, confrontés à la dure réalité.
Une connaissance précise des espèces présentes sur le site du projet permet au développeur de planifier des mesures de prévention et de réduction des impacts de son projet sur les espèces protégées. Si ces mesures sont suffisantes, aucune formalité administrative ne sera nécessaire au titre de la réglementation sur les espèces protégées. Dans le cas contraire, une dérogation devra être sollicitée auprès de l’autorité compétente.
Pour que cette dérogation puisse être obtenue, la demande doit être préparée avec soin et l’assistance d’avocats spécialisés est vivement recommandée.
Quelle est la réglementation applicable aux espèces protégées ?
Après avoir été condamnée à plusieurs reprises par la Cour de Justice de l’Union Européenne, la France a transposé les directives européennes concernant la conservation des oiseaux sauvages et des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore, applicables aux espèces protégées, dans son Code de l’Environnement par la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006[2].
Le principe est que dès lors qu’un intérêt scientifique particulier ou les nécessités de préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d’espèces animales ou végétales protégées, la loi interdit, entre autres, la destruction, l’altération ou la dégradation de ces espèces, qui sont listées dans divers arrêtés ministériels, ainsi que la dégradation de leur habitat naturel[3].
Des dérogations peuvent cependant être accordées par le Préfet[4] ou le Ministre chargé de la protection de la nature[5] en fonction des espèces concernées, mais l’obtention de cette dérogation constitue souvent un véritable parcours du combattant, dès lors qu’elle est soumise à trois conditions strictes considérées comme cumulatives par le Conseil d’Etat[6] :
- il ne doit exister aucune autre solution satisfaisante ;
- la dérogation ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
- la dérogation doit être justifiée par l’un des cinq motifs énoncés à l’article L. 411-2, I, 4° du Code de l’Environnement parmi lesquels seule une « raison impérative d’intérêt public majeur»[7] peut être utilement invoquée concernant les projets photovoltaïques.
Si une dérogation est nécessaire, les travaux ne pourront commencer qu’après son obtention. A défaut, l’administration pourrait ordonner leur suspension et mettre le développeur en demeure de régulariser la situation[8]. La réalisation du projet sans obtention préalable de la dérogation lorsqu’elle est requise peut également aboutir au prononcé de sanctions pénales[9].
Quels sont les enjeux ?
L’engouement pour les centrales photovoltaïques au sol de grande taille en France ne montre aucun signe de déclin[10]. Ces projets sont soumis à l’obtention d’un permis de construire ainsi qu’à la réalisation d’une étude d’impact sur l’environnement (EIE) et d’une enquête publique[11] dès que leur capacité totale est supérieure ou égale à 250kWc.
La réglementation applicable aux permis de construire étant indépendante de celle relative aux espèces protégées, les développeurs doivent s’assurer que leur projet est bien conforme à cette dernière.
Depuis quelques années, les services chargés de l’instruction des demandes de permis de construire, parfois alertés par des associations opposées aux projets de centrales photovoltaïques de grande taille, exigent des développeurs qu’ils démontrent avoir intégré la problématique des espèces protégées en les « invitant » systématiquement à solliciter une dérogation.
L’expérience révèle que les dossiers de demande de dérogation doivent être préparés avec le plus grand soin d’autant que les exigences du Préfet et des autorités environnementales locales quant au contenu des dossiers ne découlent pas clairement de la réglementation en vigueur.
Comment éviter que des problèmes ne surgissent ?
Afin d’éviter toute violation de la réglementation applicable aux espèces protégées, il est impératif que les développeurs de projets PV au sol commencent par identifier dans l’étude d’impact jointe à leur demande de permis de construire quelles sont les espèces bénéficiant d’une protection présentes sur le site de leur projet et à proximité immédiate, ainsi que les effets de leur projet sur ces espèces.
Après avoir procédé aux études, les développeurs doivent décrire dans leur EIE les mesures mises en œuvre pour prévenir tout impact sur les espèces protégées. Si ces mesures ne suffisent pas, des mesures de réduction devront être prévues dans l’étude d’impact.
Si l’EIE révèle qu’il existe un impact résiduel significatif malgré les mesures prévues pour éviter et réduire les impacts du projet, une dérogation doit être sollicitée. Ainsi, ce n’est pas le troisième volet du principe « Eviter, Réduire, Compenser » applicable aux EIE, bien connu en droit communautaire et en droit interne, qu’il convient de prendre en compte pour déterminer s’il y a lieu de demander une dérogation, ce qui est souvent méconnu des développeurs.
S’il ressort de cette analyse qu’une dérogation est nécessaire, le dossier de demande devra comporter une étude d’impact[12] identifiant :
- les espèces bénéficiant de mesures de protection présentes sur le site et à proximité immédiate,
- les effectifs des populations de ces espèces ainsi que
- l’effet du projet sur ces populations et les populations voisines[13].
L’étude d’impact doit également décrire les mesures prévues pour éviter et, à défaut, pour réduire, et en dernier ressort pour compenser les effets négatifs du projet sur les populations d’espèces protégées concernées. Aux termes de la circulaire du 21 janvier 2008, les mesures compensatoires doivent avoir une réelle probabilité de succès, être fondées sur les meilleures connaissances et expériences disponibles et être mises en œuvre avant le commencement des travaux ou, au plus tard simultanément lorsque cela est compatible avec leur efficacité.
Les dérogations ne peuvent être obtenues que si le demandeur démontre que les conditions susmentionnées sont réunies[14].
La demande de dérogation doit tenir compte des aspects suivants :
- Concernant l’absence d’« autre solution satisfaisante» : le développeur doit démontrer que toutes les solutions ont été recherchées pour éviter d’avoir à solliciter une dérogation. L’évaluation du caractère satisfaisant ou non d’une solution de substitution doit se fonder sur des facteurs objectivement vérifiables, tels que des considérations scientifiques et techniques. La solution retenue doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire pour résoudre le problème ou la situation spécifique.
- Concernant l’obligation de ne pas « nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées» : le développeur doit décrire dans sa demande de dérogation l’état initial de conservation et démontrer que divers paramètres (dynamique de la population, aire de répartition, habitat suffisant, perspectives de maintien à long terme)[15] seront maintenus. Avec ou sans mesure compensatoire, l’effet de la dérogation accordée sur l’état de conservation des espèces concernées doit être neutre ou positif[16].
- Concernant les « raisons impératives d’intérêt public majeur » : les juridictions françaises mettent en balance l’intérêt public invoqué par le demandeur et l’intérêt de la conservation des espèces[17]. Le Tribunal Administratif de Montpellier[18] a considéré que les projets PV s’inscrivaient parfaitement dans le cadre de la politique énergétique nationale et qu’ils remplissaient donc le critère de la « raison impérative d’intérêt public majeur» devant être démontré pour l’obtention d’une dérogation.
En résumé, la réglementation applicable aux espèces protégées et la procédure d’obtention d’une dérogation sont complexes et ne doivent pas être sous-estimées par les développeurs de projets PV. Afin d’éviter tous les risques inhérents à cette réglementation, une expertise et un soutien technique et juridique sont nécessaires dès les prémices du développement du projet.
Notre article dans « Le Journal du Photovoltaïque » N°29, Novembre-Décembre 2018
#Solar #Observ’ER #ForumEnerGaïa
Anouk Darcet-Felgen et Laurence Duriez
[1] Directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages codifiée par la Directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 ; Directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore
[3] Article L. 411-1 du Code de l’Environnement
[4] Article R. 411-6 du Code de l’Environnement
[5] Article R. 411-8 du Code de l’Environnement
[6] Conseil d’Etat, 9 octobre 2013, no 366803
[7] Article L. 411-2, I, 4° du Code de l’Environnement
[8] Article L. 171-8 du Code de l’Environnement
[9] Article L. 415-3 du Code de l’Environnement
[10] Selon une annonce récente, six des principaux développeurs de projets PV ont prévu de développer et de réaliser la plus grande centrale photovoltaïque au sol en Europe d’une capacité totale de 930 MWc.
[11] Articles R. 421-1 et R. 421-9 du Code de l’urbanisme, articles R. 122-8, II, 16° et R. 122-3 du Code de l’environnement
[12] Cette étude d’impact diffère de celle qui doit être jointe au dossier de demande de permis de construire en application de l’article R. 122-2 du Code de l’environnement.
[13] Circulaire DNP/CFF no 2008-01 du 21 janvier 2008
[14] Conseil d’État, 9 octobre 2013, requête no 366803
[15] Article 1 (i) de la Directive 92/43/CEE
[16] Circulaire DNP/CFF no 2008-01 du 21 janvier 2008
[17] Cour Administrative d’Appel de Marseille, 14 septembre 2018, requête no 16MA02626; Cour Administrative d’Appel de Nantes, 13 juillet 2018, requête no 15NT00013; Cour Administrative d’Appel de Marseille, 25 juin 2018, requête no 17MA02587
[18] Tribunal Administratif de Montpellier, 28 novembre 2017, requête no 1601676