S’il s’agit d’un avantage pour les auteurs, cela est également un casse-tête pour les entreprises au quotidien, et il est impératif d’être vigilant lors de l’acquisition ou de la cession de droits sur une œuvre, que cela soit auprès d’un tiers que pour les créations ou inventions d’un salarié.
De fait, les conditions de cession des droits d’auteurs portant sur des œuvres est sujette à un formalisme lourd. A défaut de respect de ce formalisme dans les contrats de cession, il y a un risque non-négligeable que la cession des droits soit reconnue comme n’étant pas valable ou n’ayant jamais existé.
A titre d’exemple de ce formalisme, il est intéressant de rappeler une décision récente intervenue dans le cadre d’un litige opposant plusieurs photographes à la société éditrice du journal « Le Figaro » (le plus ancien quotidien français) qui avait mis en ligne sur son site internet, dans une rubrique « archives » en accès payant, l’intégralité des archives papier du quotidien et des périodiques. Cette publication a été faite sous forme de reproduction, par voie de numérisation au format PDF, des pages entières de ces publications comprenant les articles illustrés de photographies. Les auteurs ont estimé que cet usage n’a pas été autorisé dans le contrat de cession prévu avec l’organe de presse et ils ont assigné la société éditrice en contrefaçon.
La Cour d’Appel a estimé que « l’exploitation par l’archivage et la mise en ligne des journaux sous format PDF n’avait pas pu être prévue lors de la cession des droits, mais que cette mise en ligne s’inscrit dans la continuité de l’œuvre première et ne constitue pas un usage des photographies autre que celui contractuellement prévu ».
La Cour de Cassation a sanctionné la Cour d’Appel de Paris au visa des articles L.111-1, L.122-1 et L.131-6 du Code de la propriété intellectuelle et a jugé que les motifs adoptés par la Cour d’Appel étaient insuffisants à caractériser que la cession consentie s’étendait nécessairement à l’usage précité. La Cour de Cassation rappelle donc le principe selon lequel en droit français seuls les droits effectivement listés dans le contrat de cession de droits sont transmis de l’auteur à l’acquéreur.
Cette règle ne vaut que pour les acquisitions de droits directement auprès de l’auteur – personne physique – de l’œuvre. Elle ne joue pas dans les contrats de cession intervenant entre deux personnes morales dans lesquels une clause générale de cession est envisageable. Cela tient au fait que, en droit français, seule une personne physique peut avoir la qualité « d’auteur » d’une œuvre. Toutefois, même avec une clause générale de cession, il est important de s’assurer que la société cédante a bien valablement acquis les droits qu’elle cède auprès de l’auteur au risque que toute la chaîne de droits soit rompue et que la cession entre les deux sociétés ne porte que sur une coquille vide.
Il est donc essentiel d’être bien conseillé et assisté lors des acquisitions et cessions de droits d’auteurs (ce qui peut intervenir lors de l’acquisition d’un fonds de commerce, ou lors de fin de licences complexes et croisées). En cas de cession non valable des droits de propriété intellectuelle, outre les risques de condamnation pour contrefaçon auxquels la société s’expose, la valeur du fonds de commerce acquis peut être fortement impactée.
Tous les spécialistes s’accordent à dire que l’évaluation d’une entreprise n’est ni un exercice simple, ni une science exacte et que l’évaluation nécessite de bien connaître l′entité cible, ses engagements, notamment ceux hors bilan, son passé, ses produits, ses forces et ses faiblesses, ainsi que son environnement.
Aujourd’hui, parmi les éléments essentiels à analyser permettant de valoriser fortement à la hausse ou à la baisse un fonds de commerce, les actifs de propriété intellectuelle d’une société sont de plus en plus identifiés comme stratégiques puisqu’ils permettent à la société de bénéficier d’un monopole, d’un avantage concurrentiel sur le marché. Si les acquéreurs et vendeurs pensent bien évidemment aux actifs de propriété industrielle (portefeuilles de brevets, de marque, ou encore de dessins et modèles), les actifs de propriété littéraire et artistique (droits d’auteur) jouent un rôle essentiel dans de nombreux domaines tels que la mode, les parfums, l’ameublement, ou encore l’audiovisuel.
Il est donc impératif que (i) les contrats de travail avec les salariés de l’entreprise ayant une mission créative, (ii) ceux avec les auteurs tiers ou encore (iii) entre sociétés, respectent le formalisme légal et contiennent les clauses de garantie permettant de sécuriser les sociétés dans leur activité quotidienne, et également lors des phases d’acquisition et de cession de fonds de commerce.
1 Cour d’Appel de Paris, Pôle 5, Ch. 2, 16 février 2018, n°16/26.056